Ambivalence face au trouble alimentaire
23 août 2023
Question (Fille / 1998)
Ma question est assez complexe (il s'agit plus d'un thème, en fait), et je ne sais pas trop comment l'aborder...
J'ai perdu beaucoup de poids ces derniers mois (-10kg environ entre mon poids maintenant et celui de fin mai) pour atteindre actuellement un IMC de 16.4. Mais d'un autre côté, je ne vois absolument pas la différence sur mon aspect physique. Je ne me trouve pas grosse (je sais objectivement que ce n'est pas le cas, ça ne l'a jamais été), mais je ne me vois pas différente d'avant. Voire je trouve que mes cuisses pourraient être plus fines, mon ventre plus plat.
ça avait commencé doucement, mais là c'est vraiment descendu très vite ces 3 dernières semaines (- 5 kg), par hyper restriction alimentaire (probablement l'équivalent d'un demi repas sur toute la journée, je vis seule, donc personne n'a de regard sur ce que je mange).
Et c'est la guerre, dans ma tête. Il y a un côté "rationnel", qui se rend bien compte que ce n'est pas normal. Que mon poids et la nourriture et les calories etc ne devraient pas prendre autant de place dans ma tête. Que oui, quand j'ai faim, il faut que je mange, et qui y arrive des fois (comme hier soir).
Mais il y a aussi un côté qui trouve ça extrêmement "satisfaisant", cette restriction. Qui a envie de fuir devant une assiette. Qui aimerait bien oublier qu'elle a faim, et de plus en plus d'hypotensions orthostatiques et de maux de tête. Et qui s'en veut terriblement, après avoir mangé (mais je ne me fais pas vomir).
Il y a un côté qui sait que je dois reprendre du poids, ou en tout cas commencer par arrêter d'en perdre.
Mais il y a aussi un côté... Je sais pas trop, qui semble avoir envie de voir jusqu'où je peux aller, et qui a très très très envie de continuer à en perdre (en vrai, l'alimentation a été une problématique récurrente dans mon parcours de vie, depuis l'enfance, mais jamais à ce point-là). Je n'avais jamais perdu le contrôle, et là, cette fois, je me rends bien compte que je ne contrôle plus rien.
Alors peut-être qu'un bout, j'ai l'impression que maintenant que j'ai mis un pied dedans, autant aller jusqu'au bout.
Et en même temps, pour la première fois en 11 ans, je n'ai plus d'idées suicidaires et plus d'actes d'automutilation.
Une infirmière m'a demandé pourquoi je ne mangeais presque rien, et j'ai instinctivement répondu "parce que manger, ça sert à vivre". Est-ce que c'est ça qui pourrait être en train de se jouer ? J'ai l'impression que je n'ai pas droit au suicide parce que mes proches se sentiraient abandonnés. Alors que ça fait depuis l'enfance que je me débats avec une dépression.
Peut-être qu'un bout de moi se dit que, si mon corps lâche "tout seul", alors c'est moins triste pour mes proches. Que l'anorexie c'est une vraie maladie, pas comme la dépression, où tout le monde dit qu'on déprime tous parfois.
Bref, tout ça pour dire qu'on a fini par ne pas me laisser le choix, et me prescrire du Fortimel 2x par jour. Sauf que je suis juste repartie avec des petites bouteilles, mais personne n'a pris le temps d'échanger avec moi au sujet de tout ce que ça provoque en moi, tout ça. Et j'ai l'impression que tant que je n'aurai pas pu en parler, ça va être encore plus dur de me forcer à inverser la tendance.
Alors boire ces trucs, j'y arrive pas (le goût et la texture sont ok, une amie m'a forcé à goûter au moins). On me dit de le voir comme un médicament, mais moi je ne peux pas m'empêcher de voir toutes les calories marquées sur la bouteille, et angoisser de recommencer à prendre du poids (tout en sachant, intellectuellement, qu'il le faudrait...).
Et j'ai l'impression que ça risque même d'avoir l'effet inverse : ce soir j'ai rien soupé parce que de toute façon il y avait Fortimel prescrit après.
Donc je sais pas, est-ce qu'il faut que j'arrive à me convaincre de boire absolument ces trucs ? Ou est-ce que je reste focalisée sur le fait de réussir à manger ?
Est-ce que c'est mieux si je note ce que j'arrive à manger, ou au contraire surtout pas, ça renforcerait l'illusion de contrôle ?
Désolée, c'est assez confus, comme je n'ai pas eu l'occasion d'aborder ce thème par oral avec quelqu'un, je suis vraiment perdue...
Merci beaucoup pour votre lecture,
Belle journée
Réponse
Vous nous écrivez pour nous faire part de vos préoccupations et vos questionnements en lien avec l'alimentation. Vous êtes très lucide sur ce qui se passe en vous et consciente de la présence de deux parties ambivalentes, une qui désire aller de l'avant et l'autre qui se sent bloquée dans les mécanismes de la maladie.
Cette ambivalence génère beaucoup de souffrance et vous avez eu raison de nous écrire. Nous tenons aussi à vous féliciter pour le chemin parcouru jusqu'ici, qui vous permet aujourd'hui de ne plus avoir d'idées suicidaires ni de comportements d'automutilation.
Quant au trouble du comportement alimentaire (TCA), il s'agit de l’expression d'un mal-être plus profond et représente un des moyens que la personne a trouvés pour exprimer sa souffrance. Pour en guérir, il est nécessaire de parvenir à trouver en soi les moyens pour réagir face à ce mal-être d'une manière différente. Étant donné qu'il ne s'agit pas d'une question de volonté, il est difficile d’y faire face sans une aide professionnelle qui puisse soutenir la personne dans ce qu’elle vit. C'est pour cela qu'il serait important que vous puissiez être soutenue par des professionnel.es qui pourront vous accompagner.
Vous dites n'avoir jamais eu l'occasion d'aborder ces thèmes de vive voix avec quelqu'un. En parler clairement permet de mettre les mots justes et de considérer le TCA comme une véritable maladie avec ses caractéristiques propres. Vous pouvez vous adresser à l'association www.boulimie-anorexie, où des professionnelles sont à votre écoute, que ce soit par téléphone que lors d'entretiens individuels et avec qui vous pourriez aborder toutes vos questions en lien avec les TCA.
Vous indiquez aussi un IMC de 16,4 qui est insuffisant et risque de vous confronter à des carences importantes. C'est pour cela qu'on vous a prescrit du Fortimel, conseillé en cas de dénutrition. Or, il nous semble important que vous puissiez suivre les conseils du professionnel qui vous l'a prescrit. N'hésitez pas à lui en parler aussi.
Vous avez tout notre soutien pour la suite des démarches et n'hésitez pas à revenir si vous avez d'autres questions,
Conséquences d'un trouble du comportement alimentaire - Articles - ontécoute.ch
Peut-on guérir d'un trouble du comportement alimentaire? - Articles - ontécoute.ch
Anorexie mentale - Articles - ontécoute.ch
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